Un peu d’histoire...
L’idée de faire de la musique en pinçant une corde sur une caisse est très ancienne. En Egypte ancienne, Grèce antique, ils avaient des harpes, lyres et des instruments avec de longs manches. Il n’y a aucune preuve que l’archet fut utilisé pour faire de la musique avant le IXème siècle lorsque certains musiciens du monde Arabe, d’Asie Centrale, Perse et Byzantin furent les premiers à en utiliser un afin de créer un son nouveau, résonnant et prolongé. L’utilisation de l’archet permit le développement du Rebab, un instrument en forme de poire avec un long manche, qui a joué un rôle important dans l’histoire des instruments à archet européens.
La viole de gambe est née dans la région de Valence en Espagne à la fin du XVème siècle. C’est un instrument qui dérive du rebab, apporté en Espagne par les Maures au VIIIème siècle. Dans la région de Valence cohabitaient plusieurs cultures –juive, chrétienne et musulmane-, ce qui constituait un ferment propice à la création de nouveaux instruments. Rebab, instrument à cordes pincées, et vihuela de mano faisaient bon ménage. En Europe, à partir du XIème siècle, la vièle à archet, et plus précisément la vièle en huit, qui se joue entre les jambes au XIIème et XIIIème siècle, était très répandue. C’est très probablement au contact de ces instruments que la viole de gambe a vu le jour. La première peinture représentant une viole de gambe jouée par un ange, trouvée à Valence, date de 1475. Elle s’est en premier lieu développée en Espagne, puis a connu des heures de gloire en Italie. En effet, durant l’année 1492, l’espagnol Valencian Rodrigo Borjo (Alexandre VI) fut élu au trône papal. Il amena de nombreux violistes à Rome, lesquels étaient employés pour la musique d’église. La viole eut alors un énorme succès en Italie. De par ses frettes, le nombre de ses cordes (six) et l’accord en quartes avec une tierce au milieu, cet instrument dérive du luth ou de la vihuela. On la joue en la tenant sur les genoux, d’où son nom, venant de l’Italie « da gamba » qui veut dire jambes. Avant la fin du XVème siècle, Isabelle d’Este, sœur du Duc de Ferrara, ramena une viole à Mantoue, et rapidement la viole se répandit en Italie et tout le reste de l’Europe, étant jouée par des professionnels en consort, mais aussi par des aristocrates et amateurs éclairés.
Au milieu du XVIème siècle, la viole a acquis ses principales caractéristiques : une caisse profonde, un fond plat, un chevalet et touche courbée. La viole a normalement 6 cordes, attachées à un cordier qui est lui-même attaché à une barre qui est fixée à l’éclisse inférieure. En comparaison, le cordier du violon et des autres membres de la famille du violon est flexible, attaché par une boucle en boyaux à un bouton inséré dans l’éclisse inférieure.
C’est le triomphe de la famille des violons à la fin du XVIème siècle qui a éclipsé la viole en Italie. En Angleterre, où les gambistes étaient employés à la cour d’Henry VIII, elle est restée à la mode durant le XVIIème siècle, encouragée par son utilisation dans les chorales d’école, et pour la musique écrite pour elle par Orlando Gibbons, John Jenkins, William Lawes,… Grâce à ces musiciens, l’Angleterre devint le centre de production de violes de grande qualité. De magnifiques violes étaient, elles aussi, fabriquées en France, au XVIII, et alors que le dessus et ténor de viole passèrent de mode, la basse de viole resta comme instrument soliste.
Les types de violes désignés par le terme générique « viole de gambe sont : - le pardessus (dans la même tessiture que le violon actuel), -le dessus ( une quarte plus bas), -l’alto (ou « haute contre », dans la tessiture de l’alto actuel), -le ténor (ou « taille », une quarte plus bas), -la basse (ou viole de gambe proprement dite, dans la tessiture du violoncelle actuel), -la contrebasse ou violone ( une octave plus bas, dans la tessiture de notre contrebasse).
La sonorité des violes de gambe, douce, un peu voilée, au timbre légèrement pincé, fut considérée comme se rapprochant le plus de la voix humaine.
L’invention de la 7ème corde a été attribuée à Monsieur de Sainte Colombe par Jean Rousseau. Les plus anciennes violes survivantes faites pour être en 7 cordes sont celles de Michel Collichon, dont le plus ancien instrument date de 1683. De plus la basse de viole à 7 cordes n’a pas pu être développée avant car l’invention de la corde en boyaux fileté argent n’est pas apparue avant 1660. Dans le traité de Jean Rousseau, nous apprenons que les violes anglaises importées en France, furent modifiées, au niveau de l’inclinaison du manche, de la hauteur du chevalet, mais aussi au niveau de le largueur du manche, tout en conservant le plus possible le travail et les décorations, afin de l’adapter à la septième corde.
En Allemagne et surtout en France, la basse de viole survécut le plus longtemps : elle se mêlait aux violons, comme soliste, ou dans le rôle de basse continue.
La viole de gambe, par ses connotations aristocratiques, se retrouva supplantée par le violon, qui était considéré comme un instrument populaire. Beaucoup de violes furent modifiées pour être adaptées en violes de gambe. Caisses retaillées, manches changés pour être adaptés aux 4 cordes des instruments du quatuor, très peu d’instruments originaux, intacts, nous sont parvenus. Après une interruption de plus de deux siècles, certains compositeurs écrivent de nouveau pour les violes ; et des violistes contribuent par leurs recherches à faire revivre ces très beaux instruments.
Fabrication…
Côté bois
Comme pour les violons, on retrouve l’érable ondé, pour le fond, éclisses et manche, et épicéa pour la table. Toutefois, il n’est pas rare de trouver des violes en noyer, cerisier ou peuplier !
Eclisses, avec ou sans moule ?
On retrouve deux techniques pour cintrer des éclisses sur un moule ou « en l’air ».
La fabrication des instruments sur un moule est une technique Crémonaise qui dérive de la méthode de construction du luth. Les éclisses sont moulées à l’aide d’un fer chaud sur une forme définissant le contour intérieur de l’instrument.
D’autres techniques ont été employées en Italie et en Europe, les éclisses sont cintrées et montées « en l’air », sans l’aide d’un moule, directement sur le fond.
Les éclisses sont réduites à une épaisseur de 1.5mm avant d’être cintrées sur un fer chaud pour leur donner la forme de l’instrument.
Le fond.
La viole de gambe possède normalement un fond plat qui la situe parmi les descendants de la vihuela. Dans sa partie supérieure le fond est plié pour former un angle jusqu’au talon, mais on retrouve certaines violes où le bois est formé pour donner une légère voute dans le sens longitudinal.
Sur le côté du fond, on retrouvera une large barre d’épicéa, que l’on nomme point ou assiette, et qui servira de renfort sur lequel l’âme viendra se placer.
Le fond peut être maintenant collé sur les éclisses. Une fois les serre-joints en place, la colle sera glissée, à l’aide d’un couteau fin, entre les éclisses et le fond. Une fois sèche, il suffira d’abaisser le fond au niveau des éclisses.
La table d’harmonie
Nous avons deux types de tables d’harmonie. Celle en deux parties, sculptée dans la masse, comme pour les violons, violoncelles, et celle dite cintrée, en plusieurs lamelles, reprenant la technique des tonneliers, et permettant une continuité dans le fil du bois.
On sculpte la voute de la table avec des gouges et petits rabots. Pour ce qui est d’une table cintrée, on a une forme de voute qui a été formée lors du cintrage, donc le travail sera plutôt de l’harmoniser aux rabots.
Une fois la voute réalisée, on passe à la mise en épaisseur de celle-ci. Ça permettra au bois de répondre librement à chaque mise en vibration, sans perdre pour autant ses facultés de résistance. Pour cela on utilise des gouges pour retirer le plus gros de la matière et finir au rabot pour obtenir les bonnes épaisseurs suivant la densité et flexibilité du bois. On arrive à des épaisseurs entre 5mm et 2mm suivant les instruments.
Les ouïes, contrairement aux violons qui sont en forme de f, sont la plupart du temps en forme de C. Ces ouvertures permettent un libre échange de l’air, sortie des ondes sonores émises par l’intérieur. Elles seront dans un premier temps ouvertes à la scie puis finies au canif.
La barre d’harmonie est une fine latte d’épicéa collée sous la table, dans le sens longitudinal. Les origines de la barre sont peut-être d’abord dues au besoin de renforcer la table qui, sinon, risquerait de s’affaisser sous la pression des cordes. Il existe des exemples historiques d’instruments sans aucune barre mais dont la table a de fortes épaisseurs. A la Renaissance, on commence à réduire ces épaisseurs pour donner plus de liberté de vibrations et l’on tente de résoudre le problème statique avec un barrage transversal.
La barre d’harmonie doit maintenant remplir deux fonctions, elle doit éviter un affaissement et faciliter l’émission des notes, surtout des graves. Elle se situe sous le pied du chevalet qui supportera les cordes graves avec une légère inclinaison par rapport au sens du bois pour empêcher ou diminuer une cassure grave. La barre est adaptée et doit suivre parfaitement la partie interne de la table où elle sera collée.
Suivant le type d’encastrement du manche, on collera d’abord la manche avant de coller la table.
La table sera collée sur les éclisses, et les bords abaissés comme pour le fond.
Le filetage
Les filets se composent de trois parties : deux en bois teinté noir ou ébène, et une en bois blanc. A l’aide d’un traçoir à double lame, nous gravons une légère rainure, dont le tracé sera suivi plusieurs fois par la pointe d’un canif avant d’enlever le bois avec un bédane ou petit crochet, pour y incruster le filet.
Décorations
On peut trouver dans la viole de gambe, beaucoup d’éléments de décoration. Les luthiers de l’époque ne faisaient pas forcément eux-mêmes ses éléments-là, et les confiaient à un tiers. On retrouve des sculptures de tête et de bas-relief, pour le manche. Pour le fond, on peut avoir un travail d’incrustation de filets, avec des motifs géométriques, on peut trouver plus rarement aussi pour le fond, des motifs en bas-relief comme chez Lewis, ou de la marqueterie !
Certains instruments possèdent aussi des incrustations de filets sur les éclisses. Pour les tables, on trouvera des rosaces, en buis, par exemple avec Henry Jaye, qui sont incrustées, mais également des incrustations de filet entrelacés. Il y a également la possibilité de trouver des motifs peints comme sur les violes de Collichon.
Les touches et cordiers peuvent également être composés de marqueteries, Barak Norman nous en offre un bel exemple, ou de motifs peints.
Le manche
Il est généralement en érable, et part d’un bloc qu’il faudra mettre à plat et d’équerre afin de pouvoir dessiner le contour du manche dessus.
Le contour du manche sera scié avec une scie à ruban. Puis les contours seront définis et nettoyés. Les violes de gambes possèdent des volutes, volutes ajourées, et plus particulièrement des têtes, ce qui lui donne une personnalité ! Certains luthiers sculptent eux même, d’autres confient le travail à un sculpteur. Les côtés du chevillier peuvent être aussi agrémentés de sculptures en bas-relief, bien souvent représentant des motifs floraux.
Le manche peut ainsi être ajusté sur la caisse de l’instrument, tout en respectant un certain angle d’inclinaison.
Touche & cordier
Contrairement aux violons et violoncelles, la viole de gambe aura un bois beaucoup plus léger. L’ébène, qui est un bois lourd, alourdirait l’instrument et ferait un effet de sourdine. La touche est faite de la manière suivante : épicéa au centre, avec des bords de renforcement en érable, et un placage en ébène par-dessus. Le cordier sera plutôt fait en érable, avec ou sans placage ! une fois l’épicéa et l’érable joint, la courbe de la touche sera formée au rabot avant de venir cintrer l’ébène par-dessus.
Une fois la touche finie, il faut la placer sur le manche et calculer son angle d’inclinaison. Une touche trop basse sera compensée par un chevalet haut afin que l’archet ne touche pas la caisse, et l’instrument sera plus difficile à jouer en raison de l’espace entre la corde et la touche.
Le bout de la touche qui n’est pas en contact avec le manche sera creusé afin de retirer du poids inutile à l’instrument, de même que pour le cordier.
Montage & manche & barre
Une fois la touche collée sur le manche, le manche sera formé, un peu en ovale, et le talon taillé.
Contrairement aux violons, violoncelles, la viole de gambe ne possède pas de bouton d’attache sur lequel sera fixé le cordier, mais une barre, bien souvent en ébène, qui est incrustée dans le tasseau inférieur, avec une forme de crochet sur le dessus, dans lequel le cordier viendra s’accrocher.
Vernis
Avant de vernir l’instrument, il faut le préparer. Nettoyer l’instrument, en profiter pour faire les finitions comme l’arrondi des angles. Puis vient l’étape de l’humidification pour faire ressortir les veines du bois qui seront poncées ou passées au ratissoir, afin qu’elles ne ressortent pas pendant le vernis. Tous les luthiers n’utilisent pas le même procédé de vernis. Certains vernissent avec un vernis à alcool, d’autre un vernis à l’huile, s’aidant d’une chambre à UV pour le faire sécher ou bien de la lumière naturelle du soleil.
Montage
Une fois l’instrument vernis, il faut procéder au montage !
Tout d’abord les chevilles ! On retrouve diverses essences de bois : l’ébène, le palissandre et le buis sont les plus courantes, mais il n’est pas rare de voir certains bois exotiques. Elles sont ajustées dans le chevillier à l’aide d’une lousse, un outil en forme de cône allongé qui taille le bois, La cheville est elle-même taillée en cône à l’aide d’un taille cheville pour venir s’ajuster dedans. Ce système permet à la cheville de ne pas glisser.
Les frettes sont en boyaux. Elles entourent le manche. Généralement au nombre de 7. Elles sont épaisses vers le sillet, et diminuent pour éviter que les cordes ne frisent.
Le sillet, en ébène, en os ou en buis, est la petite pièce située en haut de la touche et permettant aux cordes de ne pas entrer au contact de la touche. Sa hauteur sera adaptée en fonction de la hauteur de la première frette.
L’âme est un fin cylindre d’épicéa coincé entre la table et le fond, et placé dans la caisse, à quelques millimètres derrière le pied du chevalet qui correspond aux cordes aigües. Elle soutient la pression des cordes, mais avant tout elle fait participer le fond et sa force de ressort à la réflexion des sons. Elle transmet au son tout ce qui le singularise : force, couleur de timbre, chaleur, … Avec une pointe à âme enfoncée dans le bois, on fait glisser l’âme par l’ouïe et on regarde avec un petit miroir, on l’ajuste, on la taille petit à petit afin qu’elle s’adapte au fond et à la courbe de la table.
Le chevalet est la pièce qui transmet les vibrations des cordes sur le résonateur pour y être amplifiées et réfléchies. Il y a tout d’abord, une fonction mécanique ; la corde, entrainée par l’archet, fait un mouvement vibratoire, principalement latéral. Le va et vient des fréquences entraîne le chevalet dans un mouvement de bascule qui se transmet sur les pieds, faisant ainsi alternativement pression sur la table. Les contours du chevalet, sont sciés dans un bloc d’érable puis définis avec des limes. Les pieds du chevalet sont enfin adaptés parfaitement à la courbe de la table. A l’aide d’une fine lime, on détermine les emplacements pour placer les cordes sur la courbe supérieure du chevalet. La hauteur des cordes sera réglée à la demande du musicien. En ouvrant le chevalet, on influe sur le son de l’instrument.