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Union Nationale de la Facture Instrumentale

VIOLONS

 

Cordes frottées : tenir le son !

 Les origines des instruments à archet (cordes frottées) sont moins claires que celles de leurs homologues à cordes pincées. On peut penser que la principale motivation fut d’inventer une manière de tenir le son, de le faire durer et vivre, au contraire des notes pincées qui sonnent brièvement, puis s’éteignent lentement.

 Au Moyen Âge, les vièles témoignent de ces premières tentatives. L’usage de l’archet nécessite cependant de surélever les cordes et d’inventer un chevalet arrondi, afin de permettre le passage de l’archet et le jeu sur une seule corde. En même temps, la pression exercée par les cordes conduit à la construction de tables voûtées pour lutter contre l’affaissement. Le fond reste souvent plat, en revanche, comme sur les guitares. La première famille d’instruments à proposer une sonorité plus élaborée sera ainsi celle des violes, à partir du XVe siècle. S’inspirant largement des luths par leur système d’accord en tierces et en quartes et l’usage de frettes en boyau, les violes proposent une diversité de tessitures très large, puisqu’elles sont construites dans pas moins de sept tailles.

    Judith Leyster, Enfant jouant de la flûte (détail)

 

Le violon : génération spontanée ?

 Dès sa naissance, le violon marque un véritable tournant. Certes, ses origines restent obscures et l’on hésite sur les instruments qui auraient pu le précéder. Mais il adopte alors un système rare jusque-là, système pourtant aussi simple qu’inépuisable de possibilités : quatre cordes seulement (au lieu de six ou sept sur les violes) accordées en quinte. Également dépourvu de frettes, ses quintes justes lui permettent de s’adapter à tous les tempéraments (manière de positionner les demi-tons au sein de la gamme) : bien manié, un violon sonne toujours juste ! Il redevient en revanche un instrument essentiellement monodique : on ne joue qu’une corde à la fois grâce à son chevalet plus arrondi.

 C’est peut-être pour toutes ces raisons (peu d’antécédents, accord différent, jeu monodique) qu’en comparaison des violes, le violon connaîtra une évolution plus lente et plus tardive. Pendant longtemps, il reste un instrument populaire méprisé par les élites, qui lui préfèrent précisément les violes et les luths. Il lui faudra donc encore un siècle et demi pour parvenir à sa pleine maturité, avec l’âge d’or du XVIIIe siècle.

 Encore marqué par les instruments médiévaux, il est en effet probable que le violon Renaissance ne disposait pas encore de barre d’harmonie, ni même peut-être d’âme. Est-ce pour lutter encore contre l’affaissement de la table ? A-t-on décelé soudain l’intérêt d’établir une liaison acoustique entre la table et le fond ? Dès la deuxième moitié du XVIe siècle en tout cas, le violon s’équipe d’une âme, petite baguette de bois qui relie la table au fond. Mais celle-ci est alors très certainement placée au centre de l’instrument, entre les arrondis supérieurs des deux ouïes, et elle n’est certainement pas réglable. Nul doute que la sonorité de ces instruments répondait à une esthétique bien différente de la nôtre !

 On situe vers le dernier quart du XVIIe siècle l’avènement de la construction asymétrique actuelle : une barre d’harmonie sous le chevalet du côté des graves, une âme près du pied opposé, du côté des aigus. L’instrument gagne en fermeté dans les graves et développe une puissance et une projection bien supérieures, qui lui ouvrent des possibilités expressives sans précédent. Pas étonnant que cette disposition soit restée inchangée trois siècles après !

Autre trace des instruments médiévaux : le violon baroque se tient encore vraiment par son manche ! La mentonnière n’a pas encore été inventée et la main gauche se déplace peu. Le musicien appuie l’instrument sur sa clavicule et a besoin d’un vrai soutien, donc d’un manche plus massif. Les compositions de l’époque s’accommodent d’ailleurs fort bien de ces contraintes, puisque l’on joue assez peu dans les aigus, de sorte que la touche reste plus courte que sur le violon actuel.

 

 

Barre d’harmonie d’un violon en cours de construction.

  

Forme caractéristique du manche d’un alto baroque (à gauche), beaucoup plus épais et plein qu’un manche moderne (à droite). Noter également la forme de la touche baroque dont l’épaisseur augmente progressivement en allant vers le bas.

  Projeter le son

 Le XVIIe siècle ne connaît que les cordes en boyau nu. La grosse corde de sol du violon est difficile à jouer , les partitions pour violon de cette époque l’évitent donc largement !

 Peu avant 1700 apparaît une première invention majeure : la corde filée de métal (voir article sur les luths). Beaucoup plus sonore et brillante, elle oblige cependant à revoir tout l’équilibre du violon (et, avec lui, de l’alto et du violoncelle) et à repenser les tensions des cordes. Elle oblige aussi à recourir à un épais placage d’ébène, bois dur et lourd, afin de limiter l’usure infligée à la touche par le métal. Changement de tension et d’équilibre, modification des masses, les couleurs sonores de tout l’instrument en sont bouleversées.

L’histoire va de nouveau s’accélérer vers la fin du XVIIIe siècle, lorsque les nouveaux goûts musicaux et les techniques de jeu qu’ils imposent (généralisation du démanché, puis du vibrato) vont conduire à une refonte majeure de tout le système manche-touche du violon, de l’alto et du violoncelle. Le manche devient plus mince, renversé vers l’arrière et la touche d’épaisseur constante est désormais fabriquée en ébène massif. Les instruments y gagnent en puissance, en projection, ce sera bientôt l’époque des grandes salles et des concertos romantiques, l’âge du bel canto italien par opposition au goût de l’énonciation et de la rhétorique qui convenait si bien aux instruments baroques.

 

Comparaison entre des chevalets de violon baroque (en haut) et moderne (en bas)

 Le luthier, copiste ou chercheur ?

 Si le violon a poursuivi son évolution depuis le début du XIXe siècle, par exemple avec l’avènement de la mentonnière ou de nouveaux matériaux pour les cordes, aucun changement majeur n’est plus intervenu dans sa structure. Il est donc usuel de distinguer aujourd’hui entre les instruments dits « baroques », c’est-à-dire construits selon les principes en vigueur avant 1750, et les instruments « modernes », qui diffèrent peu de ceux fabriqués vers 1800 ou 1820.

 Pour le luthier d’aujourd’hui, ces deux catégories vont souvent de pair avec des attitudes différentes et il n’est pas rare que l’artisan se spécialise dans l’une ou l’autre catégorie. En effet, la période qui va de la naissance du violon jusqu’à 1750 couvre une période de deux siècles environ, pendant laquelle l’esthétique musicale, les techniques de jeu et les méthodes de construction ont sans cesse évolué. Beaucoup de choses sont connues mais, plus on remonte dans le temps, plus des questions restent en suspens ! Faut-il le même violon et le même son pour jouer Monteverdi ou Bach ?

 C’est une question qui ne se pose pas pour le luthier « moderne », qui base plutôt son travail sur la quête d’un idéal sonore contemporain beaucoup plus standardisé, partagé par le plus grand nombre. C’est donc plus une démarche d’optimisation, là où le luthier baroque fait plus œuvre de « redécouverte ».

 Quelles sources ?

Trois ou quatre siècles après, les luthiers disposent de toute une variété de sources pour tenter de comprendre ce qu’étaient les instruments de musique à la Renaissance et à l’époque baroque. Ils peuvent d’abord étudier les nombreux instruments conservés dans les musées du monde entier, ainsi que les très nombreux plans publiés.

 Une deuxième source importante est composée des traités d’époque. Les descriptions qu’ils contiennent et les croquis qui les complètent ont permis de reconstituer bon nombre d’informations précieuses. Les peintures et gravures, même dépourvues initialement de but didactique, contiennent parfois des indices importants, tant elles furent réalisées avec une grande précision. Certains instruments dont il n’existait plus aucun exemplaire ont ainsi pu être reconstitués par des facteurs passionnés.

 Enfin, l’Histoire réserve parfois des surprises, comme lors de la restauration de la cathédrale de Freiberg, en Saxe, dans les années 1990. On y découvrit que les petits angelots musiciens qui trônent au sommet des chapiteaux jouent des instruments qui ne sont pas tous factices. Sous une épaisse couche de plâtre doré, d’authentiques luths et violons d’avant 1590 attendaient, depuis tout ce temps, d’être redécouverts !

 

Détail du coin et du filet d’un violon en cours de construction.

 

Qu’est-ce qui fait le son d’un violon ?

 Le premier facteur est certainement la géométrie de l’instrument. Si, pour un novice, rien ne ressemble autant à un violon qu’un autre violon, l’œil exercé sait vite reconnaître des différences dans le dessin du pourtour, l’arrondi des coins, la hauteur et la forme précise des voûtes transversales, le dessin des f, etc. Toutes ces caractéristiques influencent la sonorité de l'instrument : brillante, chaleureuse, douce, perçante, etc. Lorsque le luthier travaille en copie, on parle de « modèle Stradivarius », « modèle Guarnerius », etc. Soucieux d’explorer de nombreuses époques et géographies, les luthiers baroques tournent plus souvent leurs recherches vers d’autres sources que ces deux grands classiques, qui sont en revanche incontournables – et quasi exclusifs – en lutherie moderne.

La qualité du bois est certainement essentielle et on a même spéculé sur l’importance du « petit âge glaciaire » sur la qualité des bois employés par les grands maîtres italiens. Au moment de l’abattage en forêt, certains arbres sonnent comme des cloches en tombant au sol, alors que d’autres n’émettent qu’un bruit sourd et pauvre.

La qualité de la facture, autrement dit l’adresse du luthier dans le travail de sculpture, par exemple sa capacité à réaliser des voûtes parfaitement régulières et symétriques, ou encore ses choix en matière d’épaisseurs, est naturellement importante.

Le vernis ne revêt pas l’importance qu’on a pu lui prêter. Un mauvais vernis peut tuer un bon violon, par exemple s’il est trop dur pour laisser vibrer l’instrument. A l’inverse, un bon vernis n’améliorera pas un mauvais instrument.

Enfin, un élément primordial concerne ce qu’on appelle le « montage », c’est-à-dire la réalisation de la touche (son inclinaison, notamment), du chevalet, de l’âme et du cordier, ainsi que le choix des cordes. Seul un bon montage permettra à un instrument d’exprimer tout son potentiel, le montage doit souvent être adapté à chaque musicien, et c’est donc un domaine qui demande expérience et savoir-faire de la part du luthier.

 

La voûte du fond d’un violon.